C’est un livre dont le titre sonne comme une promesse tardive : « Pour une gouvernance exemplaire et de confiance ». Dans cet essai qui vient de paraître aux éditions Jets d’Encre, l’ancien Premier ministre gabonais Julien Nkoghe Bekale dresse un diagnostic chirurgical des maux institutionnels du Gabon et prescrit, à grand renfort de principes et d’éthique, les remèdes pour un État moderne et crédible.
Une lecture passionnante, dense, bien documentée… mais qui laisse un goût amer : pourquoi donc l’auteur n’a-t-il pas appliqué ces nobles principes lorsqu’il avait, entre ses mains, les leviers mêmes de la gouvernance qu’il décrit aujourd’hui comme « défaillante » ?
Car, faut-il le rappeler, Julien Nkoghe Bekale n’écrit pas ici en simple observateur ou théoricien de la politique. L’homme a été ministre à de multiples reprises, puis Premier ministre pendant les années 2019-2020. C’est donc depuis l’intérieur du système qu’il a vu et entretenu ? ce qu’il dénonce aujourd’hui avec gravité : « des institutions à bout de souffle », « un besoin urgent de réforme morale et fonctionnelle », « un fonctionnement déconnecté des citoyens ».
Lui qui, dans son livre, plaide pour « dépasser la simple réforme juridique » et « réinventer la culture politique », a pourtant lui-même conduit un gouvernement sans avoir manifesté en tout cas publiquement cette intransigeance éthique qu’il érige désormais en méthode. L’ironie n’échappe pas à un lecteur attentif.
Certes, il est louable de constater que des hommes publics reconnaissent, ne serait-ce que sur le tard, les impasses d’un système. Mais la question reste entière : Julien Nkoghe Bekale s’adresse-t-il plus à lui-même qu’à ses successeurs ? Écrire qu’« il ne s’agit pas seulement de modifier des lois, mais de refonder l’esprit même du fonctionnement des institutions » sonne admirablement bien. Mais pourquoi cet esprit réformateur n’a-t-il pas soufflé sur ses propres actes lorsqu’il avait l’opportunité et la légitimité de les initier ?
On peut bien sûr invoquer les « contraintes du système », les blocages d’un appareil politique qui résiste au changement, ou encore la hiérarchie qui bride toute initiative. Soit. Mais à quoi bon inviter les citoyens à « s’engager activement dans la gouvernance » si l’on donne soi-même l’impression que tout est joué d’avance et que personne ne peut rien y faire ?
En vérité, ce livre, aussi brillant soit-il dans son analyse et courageux dans ses constats, traduit surtout la tragédie de la politique gabonaise : celle d’hommes et de femmes qui savent parfaitement ce qu’il faut faire pour sortir le pays de l’ornière, mais qui s’accommodent tant qu’ils sont en poste… pour ensuite le dire une fois revenus dans la société civile.
« Les institutions ne sont pas des entités abstraites, mais les reflets des sociétés qu’elles incarnent », écrit encore l’auteur. Peut-être faudrait-il aussi rappeler que les gouvernants ne sont pas des spectateurs, mais bien les artisans des institutions qu’ils critiquent après coup.
Julien Nkoghe Bekale ne manque ni de plume, ni d’intelligence, ni d’idées. Mais à la lecture de ce plaidoyer, on ne peut s’empêcher de se demander : et si ce livre avait été un programme d’action gouvernementale plutôt qu’un essai post-mandat ? La littérature politique gagne une belle contribution. Mais la pratique politique, elle, attend toujours ses héros.
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