Il se passe des choses fascinantes au marché de Nkembo, ce centre commercial à ciel ouvert où l’on vend tout, de la cacahuète à l’utérus en danger. À Libreville, la modernité a pris une forme bien locale : ici, pas besoin d’hôpital, ni de médecin encore moins de prescription. Pour interrompre une grossesse, il suffit de 20 000 à 50 000 francs CFA et d’un petit chuchotement entre deux étals de piments. Bienvenue dans le royaume de l’avortement à emporter, façon Nkembo.
Une pharmacie parallèle sans blouse blanche
Dans cette grande clinique improvisée sous les bâches bleues du marché, les vendeurs de rue ont révolutionné la gynécologie. Pas besoin de diplôme une bouche et un sac plastique suffisent. Ils n’ont jamais fait d’internat, mais ils savent exactement combien de comprimés vous donner selon « la taille de ton ventre ». À défaut de savoir ce qu’est une contre-indication, ils savent encaisser vite.
Les slogans publicitaires ne sont plus réservés à la télévision : « Ma chérie, viens, c’est rapide, tu bois, tu saignes, et c’est fini ! » Et si tu meurs ? Ah, ça, ce n’est pas garanti. Le service après-vente est inexistant, mais le business, lui, est florissant.
Une réforme sanitaire… de fait !
Le marché de Nkembo a fait ce que le ministère de la Santé n’a jamais osé faire : démocratiser l’accès à l’interruption volontaire de grossesse. Certes, c’est illégal. Certes, c’est dangereux. Certes, ça tue. Mais c’est efficace, en tout cas pour les vendeurs. Pendant que les pouvoirs publics discutent toujours de la dépénalisation de l’IVG avec la vitesse d’un escargot en grève, les vendeurs ambulants, eux, ont résolu le problème à leur manière : la pilule du lendemain, du surlendemain, et même du jamais-jamais.
Le CHUL en mode pompier
Résultat : au Centre hospitalier universitaire de Libreville, les urgences gynéco tournent à plein régime. Hémorragies, infections, stérilités précoces, insuffisances rénales, utérus perforés et j’en passe. Les médecins, eux, soignent. L’État, lui, dort. Et les vendeurs, encaissent. Le Dr Ambounda, une des rares à oser dire la vérité, l’explique pourtant sans détour : « Ces médicaments vendus à la sauvette peuvent provoquer des morts en cascade. » Mais bon, elle n’a pas de stand à Nkembo. Son avis, c’est pour les congrès médicaux, pas pour le bitume.
Un pays, deux médecines
Pendant que la médecine moderne se débat entre équipements vétustes et pénurie de personnel, la médecine de rue, elle, a tout compris : simplicité, accessibilité, discrétion. Pas de dossiers médicaux, pas d’analyse, pas de jugement juste du cash et un comprimé. En somme, à défaut de politique de santé reproductive, le Gabon a inventé la santé réductive. Réduite à une transaction. Réduite à un danger. Réduite à une honte collective.
À quand une vraie réforme ?
Il est peut-être temps de sortir la tête du sable. Ce commerce illégal est la conséquence directe d’un abandon institutionnel. Quand on laisse les jeunes filles seules face à une grossesse non désirée, elles se tournent vers ceux qui leur offrent une solution même toxique. Et c’est là que réside l’ironie la plus amère : ce ne sont pas les vendeurs de Nkembo qui sont les vrais coupables. Ce sont ceux qui, dans leurs bureaux climatisés, parlent de « stratégie nationale de santé » sans jamais mettre un pied dans la réalité.
Alors non, vendre des pilules abortives sur le trottoir n’est pas un progrès. Mais c’est le miroir de notre échec collectif. Un miroir que l’État regarde sans jamais se reconnaître. Au marché de Nkembo, on ne vend pas que des fruits. On vend aussi, chaque jour, un peu plus de notre dignité.
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