Il aura fallu un coup d’État, deux tranches budgétaires et des années d’amnésie bureaucratique pour que les fonctionnaires gabonais en attente d’avancement depuis 2015 voient enfin leur dossier bouger. Mieux vaut tard que jamais, dit-on. Mais au Gabon, le dicton devrait plutôt être : « mieux vaut un putsch que dix circulaires sans effet. »
Entre temps, des centaines d’agents ont pris des cheveux blancs pour ceux qui avaient encore une tête de fonctionnaire visible sur un fichier RH, pendant que d’autres ont eu le temps de partir à la retraite... sans avoir jamais été titularisés. Un miracle administratif qui ne se produit qu'au royaume des fichiers dormants.
D’après les chiffres officiels, 4 428 dossiers ont été miraculeusement sortis des tiroirs poussiéreux du Ministère de la Fonction publique entre septembre 2023 et septembre 2024. Titularisations, reclassements, avancements : tout ce qui était en hibernation depuis 2014 a été, paraît-il, réveillé à coups de tampons et de signatures éclair.
Mais attention : tout ça ne veut pas dire que les agents concernés ont vu leur solde changer du jour au lendemain. Non. Il faut encore passer par l’étape du « circuit du calvaire », cette légendaire succession d’allers-retours entre le Ministère du Budget, la Direction des Soldeurs Endormis et les RH d'institutions elles-mêmes amnésiques.
Le président de la Transition, dans une volonté affichée de rétablir la justice sociale, a débloqué 106 milliards FCFA pour solder les rappels dus. La première tranche de 35 milliards FCFA a été versée fin 2024, une deuxième de 63,7 milliards FCFA en avril 2025. Pour la dernière ? Il faudra patienter jusqu’en 2026, ou après les prochaines pluies. Pendant ce temps, certains agents ne savent toujours pas s’ils figurent dans la « liste des bénéficiaires », « la liste des recalés » ou « la liste des disparus administratifs ».
Fantômes en poste, agents en exil salarial
Comble de l’ironie, l’audit de la fonction publique a révélé l’existence d’environ 13 000 fonctionnaires fantômes. Oui, vous avez bien lu : 13 000 personnes payées sans travailler. Pendant que des agents bien vivants, eux, attendent leur avancement depuis une décennie. C’est à croire que les esprits avaient plus de chance d’être en solde que les travailleurs visibles.
Un progrès... mais pas sans arrière-goûts
Soyons clairs : des efforts ont été faits. Il serait injuste de ne pas reconnaître le geste politique. Mais à quel prix ? Celui de l’humiliation silencieuse de milliers d’agents, réduits à quémander leur dû au coin d’un couloir ministériel. Et comme toujours, le diable se cache dans l’administration intermédiaire : lenteurs suspectes, favoritismes masqués, opacité dans le traitement des dossiers, menaces à peine voilées contre ceux qui osent poser trop de questions...
Et maintenant ?
Certains agents ont été régularisés. D’autres attendent encore. Et les plus malchanceux ? Ils n’ont même pas reçu une réponse, encore moins un silence administratif poli. « Au Gabon, les documents bougent, mais pas toujours les décisions », soupire un fonctionnaire du ministère de l’Éducation, qui dit avoir vu passer trois ministres avant son reclassement. L’État paie... parfois. L’administration agit... lentement. Le citoyen espère... éternellement. Mais au moins, désormais, les avancements ne sont plus un rêve inaccessible. Ils sont juste... un peu en retard. Comme tout au Gabon.
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