Il est loin, le temps où l’on croyait que les ministères servaient à gérer les politiques publiques. Le lundi dernier, au ministère des Eaux et Forêts, ce n’est pas une réunion stratégique sur la déforestation ou la lutte contre le trafic de kevazingo qui a retenu l’attention, mais une scène surréaliste : le président du Synapef, Prince Marc Onsole Bitegue, retenu contre son gré au poste de contrôle du ministère.
Une séquestration pure et simple. Pas par des miliciens. Pas par des activistes en colère. Non. Par des agents de la maison, comme s’il fallait désormais une carte spéciale pour défendre les droits des travailleurs.
Dans n’importe quel pays qui se respecte, un tel incident aurait provoqué la démission immédiate du ministre concerné. Au Gabon, on préfère l’omerta institutionnelle. L’homme a été relâché, certes, mais l’humiliation, elle, est intacte. Et le message est limpide : « Vos droits ? Gardez-les pour vos cauchemars. »
Le ministère, incapable de répondre aux revendications légitimes sur les primes impayées, choisit donc l’option cavalière : neutraliser le messager plutôt que de traiter le message. Une technique connue, souvent employée dans les républiques bananières et les anciennes monarchies pétrolières.
Un ministère qui taille dans les droits plus que dans le bois
Il faut dire que le climat social au sein des Eaux et Forêts est aussi sec que les forêts surexploitées du Woleu-Ntem. Des mois de promesses, des années de frustrations, des primes qui s’évaporent comme les derniers éléphants, et des agents traités comme de simples parasites à éradiquer.
Résultat : les syndicats grondent, les agents bouillonnent, et l'administration… creuse sa propre tombe. Plutôt que d’instaurer un dialogue, elle préfère ériger des check-points et des barrières psychologiques. À quand les miradors et les chiens d’attaque ?
Mais attention, le Synapef n’est pas du genre à baisser la tête. Le syndicat promet une riposte « proportionnée à l’offense ». Et dans le langage syndical, cela peut signifier blocage des services, paralysie des opérations, et pourquoi pas, occupation des bureaux climatisés où se prennent des décisions sans queue ni tronc.
Analyse de notre journaliste spécialiste du mouvement syndical, Étienne Mba-Nzamba : « Ce que nous observons est une régression dramatique du droit syndical. On criminalise la parole collective, on marginalise les leaders syndicaux, on transforme les postes de sécurité en cellules d’isolement. Cette affaire est un signal d’alarme, un symptôme d’une dérive autoritaire rampante dans l’administration. »
Vers une implosion du secteur ?
Que les autorités ne s’y trompent pas : en voulant briser un homme, elles ont réveillé une corporation entière. Les Eaux et Forêts pourraient bien devenir le prochain théâtre d’un bras de fer national. Et vu la colère accumulée, ce ne sont pas les mangroves, mais bien le ministère tout entier qui risque l’inondation sociale.
On pensait que le plus grand péril au sein des Eaux et Forêts, c’était le braconnage. On découvre que le vrai danger vient de l’intérieur, où le respect des droits syndicaux est traité comme une légende forestière. Si l’administration ne réagit pas rapidement, ce ne sont pas seulement les arbres qui tomberont… mais la confiance, la discipline et l’ordre républicain.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires