Dans un pays où l’on confond souvent État de droit et État du plus fort, il fallait bien que quelqu’un lève la robe et hausse le ton. Ce quelqu’un, c’est Me Raymond Obame Sima, Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Gabon, qui a enfin trouvé les mots pour rappeler que les cabinets d’avocats ne sont pas des marchés publics où chacun entre et sort en criant à la fraude.
Dans une lettre sévère mais policée, le premier avocat du pays est sorti de sa réserve pour commenter l’affaire qui enflamme la place judiciaire : l’irruption de gendarmes dans les bureaux de Me Gisèle Eyue, avocate de la sulfureuse famille Bongo Valentin, accusée d’on-ne-sait-trop-quoi mais assez pour justifier une opération commando.
« J’ai été outré d’apprendre par téléphone que des agents du Camp Roux s’étaient introduits dans le cabinet de ma consœur, en violation flagrante de l’article 68 », tonne le Bâtonnier. Autrement dit : quand on n’a pas lu la loi, on ne devrait pas se promener avec un mandat à la main et des bottes sur le carrelage des avocats.
Le plus ironique, dans cette tragi-comédie judiciaire, c’est que la convocation remise à Me Eyue portait une heure… déjà dépassée au moment de la remise. Comme si les horloges de la République fonctionnaient à rebours. « Une enveloppe scellée m’a été remise à 13h pour une comparution à 12h », relate le Bâtonnier avec une élégance pleine de sous-entendus. On a vu plus subtil pour tendre un piège.
Depuis, l’avocate dort dans son cabinet, de peur de se retrouver arrêtée dans la nuit le droit au sommeil paisible n’étant manifestement pas garanti par l’article 70 de la loi sur la profession. La DGR campe dans l’ombre, les réseaux sociaux s’enflamment, chacun y va de son commentaire… et le système judiciaire, lui, s’enfonce encore un peu plus dans la suspicion et l’amateurisme.
Dans sa missive, Me Obame Sima joue les pères de famille, appelant ses confrères « au calme et à la retenue », et promettant que Me Eyue sera assistée d’un membre du Conseil de l’Ordre et « de tout autre confrère intéressé ». Manière diplomatique de dire que dans ce genre de mise en scène judiciaire, tout le monde finit toujours par être concerné.
Car oui, dans ce Gabon où les lois existent mais restent optionnelles pour certains, le Barreau reste l’un des derniers remparts contre la brutalité administrative. À condition qu’il ne se laisse pas intimider.
Et pendant ce temps, les gendarmes attendent toujours… peut-être que la prochaine convocation sera rétroactive à la date de la veille, ou antidatée à la semaine prochaine, tant qu’à faire.
À force de mépriser les règles de procédure, la justice risque de se transformer en spectacle. Mais qu’on se rassure : le rideau n’est pas encore tombé sur ce théâtre d’ombres. Et le Bâtonnier, pour sa part, semble décidé à jouer son rôle d’arbitre… à condition que la troupe se souvienne enfin du scénario : dans un État de droit, même les gendarmes doivent frapper avant d’entrer.
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