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Société

Urgences mortelles : anatomie d’un système de santé qui tue à petit feu

IMG Des malades abandonnés à l'hôpital départemental de Ntoum.

Au Gabon, on ne meurt plus chez soi. On meurt mieux, plus proprement, dans les hôpitaux publics. L’État a su moderniser l’agonie en l’institutionnalisant. Bienvenue dans les établissements hospitaliers du pays, ces temples du soin sans soins, où l’on vient avec un rhume et où l’on repart avec un cercueil, parfois sans le certificat de décès… parce que même le tampon du médecin-chef est "en rupture de stock". Des soins gratuits… payants, des erreurs médicales en série, un silence officiel en stéréo.

 

Chaque jour, à Libreville et dans les grandes villes du pays, les services d’urgence reçoivent des patients condamnés d’avance : non pas par la maladie, mais par le système. Ici, les pansements sont périmés, les seringues sont rares, les diagnostics sont aléatoires, mais l’arrogance est disponible en quantité industrielle.

 

Prenons l’Hôpital Amissa Bongo, devenu le centre national d’apprentissage de l’improvisation médicale. Deux à trois décès par jour ? Un détail statistique. Des erreurs médicales répétées ? Une tradition hospitalière. Un chirurgien notoire, accusé de plusieurs fautes graves, continue d’opérer – sans que personne ne s’en émeuve. Mieux : il fait l’objet d’un respect teinté de peur. Un mélange rare d’impunité et de bistouri tremblant.

 

Pendant ce temps, la Directrice des soins se distingue par une franchise hors-norme : « Moi, je suis un cabri mort, je m’en fous. » Une métaphore rurale que le ministère de la Santé n’a pas jugé utile de commenter. À croire qu’être un cabri mort est désormais un critère de nomination.

 

Fonds spéciaux, patients spéciaux, résultats inexistants

Sur le papier, le système est brillant. Il y a un Fonds Spécial pour la Santé, censé assurer médicaments, équipements, gratuité des soins pour les plus vulnérables. Mais comme souvent dans la comédie bureaucratique gabonaise, ce fonds est surtout... spécialement invisible. Où va l’argent ? Mystère. À qui profite-t-il ? Question taboue. Qui doit le contrôler ? Tout le monde et donc... personne. C’est la médecine quantique à la gabonaise : tout existe et n’existe pas à la fois.

 

Maternité Jeanne Ebori : entre salle d’accouchement et centre de détention

Accoucher à Jeanne Ebori relève du parcours du combattant… et du porte-monnaie. Les femmes sans argent y sont séquestrées, la carte nationale d’identité confisquée comme garantie. C’est la seule maternité de la sous-région où le serment d’Hippocrate est remplacé par le contrat d’un huissier. Un enfant naît, une dette naît avec lui.

 

CNAMGS : la mutuelle des illusions perdues

Ah, la CNAMGS ! Ce rêve national de justice sociale est devenu un cauchemar logistique. On cotise toute l’année. Puis, lorsqu’il faut se soigner, on vous demande de "revenir demain avec le bon, le cachet, la preuve de vie et l’acte de foi". Les hôpitaux n’en veulent pas, les pharmacies le rejettent, et les patients, eux, paient deux fois : une fois en argent, une fois en dignité.

 

Méritocratie ? Non, merci. Ici, on nomme à l’ancienne

Autre joyau du système : les nominations par amitié, généalogie ou nostalgie de promotion militaire. Des retraités sont rappelés en service comme s’ils détenaient l’antidote à l’incompétence. On place des médecins généralistes à la tête d’hôpitaux comme on place un boulanger au ministère des Mines : c’est exotique, c’est absurde, mais c’est pratique pour les copains. Pendant ce temps, les jeunes diplômés en santé publique, ingénierie biomédicale ou gestion hospitalière végètent. Trop compétents pour le système, pas assez connectés pour être appelés.

 

La République du scalpel rouillé

Le système de santé gabonais n’est pas en panne. Il fonctionne très bien… dans la direction opposée à celle du progrès. On meurt d’attente, on souffre d’ignorance, on paie l’incompétence. Et pendant ce temps, l’État affiche un calme olympien. Les commissions dorment, les agences juridiques bâillent, et la vie du citoyen pèse moins que le fauteuil d’un directeur régional à la retraite. Alors oui, il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Encore faudrait-il qu’elle ne soit pas en panne.

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